Thème 1 : Evolution des systèmes d’appariement
L’Etourneau sansonnet (Sturnus vulgaris) est une espèce coloniale vivant en grands groupes permanents. Les appariements sont le plus souvent monogames, mais peuvent aussi être facultativement polygynes. Ceci peut favoriser l’émergence des stratégies de reproduction alternatives telles que la paternité extra-couple (EPP) et/ou le parasitisme de nid intra-spécifique (IBP). Afin d’explorer cette hypothèse, je me suis familiarisée avec les outils moléculaires que sont les marqueurs microsatellites. J’ai ainsi utilisé 37 microsatellites développés chez des passereaux pour tester leur cross-amplification. Cinq d’entre eux se sont révélés suffisamment polymorphes. Les analyses ont établi que le taux d’EPP concernait 16 à 18 % des poussins et 43 à 45 % des nids. De façon surprenante, nous avons constaté que le taux d’IBP était très variable d’une année à l’autre (14 à 27 % des poussins pour 25 à 64 % des nids). Ce phénomène pourrait donc constituer une stratégie opportuniste des femelles pour s’adapter à des conditions environnementales changeantes.
Chez les espèces à lek, les mâles s’agrègent sur des arènes pour parader, ils défendent chacun un petit territoire (supposé ne contenir aucune ressource alimentaire) que les femelles visitent pour choisir leur(s) partenaire(s). Il existe un fort biais reproducteur des mâles car quelques mâles obtiennent la majorité des copulations.
Les hypothèses sous-tendant la formation des leks demeurent controversées. Les mâles pourraient s’agréger sur des ‘hotspots’ où la probabilité de rencontrer des femelles est élevée, ou bien les mâles peu attractifs s’agrégeraient autour des mâles très attractifs dans le but d’augmenter leur propre succès reproducteur en interceptant des femelles venues visiter les mâles très attractifs. J’ai mis à l’épreuve ces deux hypothèses en étudiant une population captive de Paon bleu (Pavo cristatus). J’ai déterminé quels étaient les territoires les plus convoités par les mâles sur le lek et j’ai examiné la répartition spatiale des mâles en fonction du point d’alimentation. Des autocorrélogrammes spatiaux ont mis en évidence que les sites au plus près des ressources alimentaires sont les plus convoités par les mâles et qu’ils permettent d’obtenir un plus grand succès reproducteur car la probabilité de rencontrer les femelles y est accrue. Les regroupements de mâles à proximité des ressources offriraient aux femelles la possibilité de visiter les mâles lorsqu’elles se déplacent pour se nourrir, ce qui diminuerait le temps passé à chercher un partenaire et donc le coût du choix.
Thème 2 : Sélection intra- et inter-sexuelle pour des signaux multiples
La polygynie prévaut chez les espèces où le mâle fournit un investissement parental faible ou nul. De fait, l’intensité de la sélection sexuelle serait maximale chez les espèces polygynes telles que les espèces à lek, comme en témoignent le développement de nombreux caractères sexuels secondaires et l’existence de parades nuptiales complexes chez ces espèces.
J’ai testé l’hypothèse que les deux forces de la sélection sexuelle (la compétition entre mâles et le choix du partenaire) agissent sur différents traits pour promouvoir l’évolution de la parade complexe du Paon bleu. La probabilité de s’établir sur un territoire était liée à deux traits morphologiques qui pourraient refléter la capacité à combattre (longueur du tarse) ou un statut de dominance en tant que ‘badge de statut’ (longueur de la traîne).
Une étude précédente avait montré que les femelles choisissent leur partenaire en fonction du nombre d’ocelles dans la traîne, tout en reconnaissant qu’il était improbable que les femelles soient capables d’évaluer directement ce paramètre. Les données que j’ai collectées durant deux années ont permis d’explorer des déterminants du succès reproducteur des mâles aussi divers que le nombre d’ocelles, la densité en ocelles, les contrastes chromatique et achromatique des ocelles et pour finir l’activité de parade.
Pour évaluer l’impact de la couleur structurale des ocelles de la traîne, j’ai effectué des mesures spectrophotométriques qui ont été intégrées dans un modèle physiologique prenant en compte les capacités visuelles de l’espèce, la lumière ambiante, et l’environnement dans lequel les mâles paradent pour en déduire les contrastes chromatique et achromatique des ocelles.
L’ensemble des analyses a montré que le nombre d’ocelles était en réalité corrélé à la densité en ocelles. Finalement, le nombre de copulations obtenues par les mâles était expliqué par le contraste chromatique des ocelles et la densité de cette coloration combinés à l’activité de parade. A ma connaissance, c’est la première étude établissant la préférence des femelles pour une couleur structurale ne reflétant pas dans l’ultraviolet. Par ailleurs, ces travaux démontrent que des receveurs différents (ici des mâles et des femelles) peuvent favoriser la diversification des traits et que les femelles utilisent des signaux multiples pour choisir leur partenaire. Des signaux multiples pourraient augmenter la probabilité de détection en exploitant un biais pré-sensoriel. Enfin, des traits multiples pourraient fournir des informations sur différentes propriétés de la qualité du mâle. L’ornementation de la traîne est un trait statique produit une fois par an après la mue, tandis que l’activité de parade est un trait flexible.
Thème 3 : Honnêteté des signaux multiples
Comment des traits multiples chez les mâles peuvent être sélectionnés et maintenus par le choix des femelles demeure un sujet débattu. On a d’abord pensé que les traits multiples étaient des traits non liés à la qualité des mâles, fonctionnant en exploitant un biais sensoriel pré-existant chez les femelles. En effet, on supposait le coût de l’évaluation et donc du choix trop élevé dans le cas contraire. Puis, il a été avancé au contraire que les traits multiples pourraient être des révélateurs de handicap facilement évaluables. Dans ce cas, ils pourraient transmettre aux femelles des informations additives ou redondantes quant à la qualité du mâle. Si cette dernière hypothèse s’avérait vraie, on peut s’attendre à ce que l’état de santé des paons bleus mâles et leur capacité à gérer un challenge immunitaire soient liés aux paramètres utilisés par les femelles pour choisir leur partenaire.
J’ai menée une étude corrélationnelle qui a confirmé que le degré d’expression des traits comportementaux (l’activité de parade) et le degré d’ornementation des mâles (nombre d’ocelles) étaient corrélés avec leur état de santé. De plus, l’activation expérimentale du système immunitaire réduisait l’activité des parades. Les mâles les plus ornementés étaient capables de mieux gérer le challenge immunitaire et maintenaient des taux de parade élevés.
Ces résultats suggèrent que différent traits transmettent différentes informations chez le Paon bleu. Le nombre d’ocelles reflèterait l’état de santé passé au moment de la mue, tandis que l’activité de parade signalerait l’état de santé présent au moment du choix. Enfin, les expressions des deux traits peuvent interagir et s’amplifier mutuellement pour augmenter la fiabilité de l’information. Cela pourrait diminuer le temps de recherche et donc les coûts engendrés par la recherche d’un partenaire.
Thème 4 : Influence de l’environnement sur l’investissement maternel
Chaque investissement dans un événement reproducteur impose un coût aux parents, ce qui peut diminuer leur survie et compromettre leurs futurs évènements reproducteurs. L’investissement maternel différentiel correspond à une allocation de ressources à la progéniture qui varie en fonction des bénéfices que la mère est susceptible d’en retirer. Je me suis intéressée à deux types de contextes : la qualité du partenaire et la prédictibilité de l’environnement, conduisant à des variations inter-individuelles et intra-individuelles dans l’investissement maternel.
Parce qu’un mâle plus ornementé peut fournir à la femelle des bénéfices indirects sous forme de gènes d’attractivité ou de gènes de viabilité pour la descendance, on peut s’attendre à ce qu’un femelle fournisse davantage de ressources non génétiques à sa progéniture lorsqu’elle s’apparie avec un tel mâle. Il a été montré que la testostérone investie par la mère dans l’œuf, ainsi que la taille et le poids de l’œuf peuvent avoir des répercussions très importantes sur le développement du poussin qui en est issu, sa survie, voire même son futur rang social.
J’ai examiné l’incidence de la densité en ocelles de la traîne, un trait impliqué dans le choix du partenaire, sur l’investissement maternel dans la reproduction. Pour ce faire, des femelles ont été appariées, au hasard, avec des mâles qui différaient dans le degré d’ornementation de leur traîne. Cette étude a révélé que les femelles appariées avec les mâles ayant une densité en ocelles plus importante pondaient des œufs plus lourds, plus volumineux et qui contenaient davantage de testostérone. Une femelle est donc capable de varier son investissement dans la reproduction en fonction de l’attractivité du mâle avec lequel elle est appariée, ce qui pourrait amplifier les effets génétiques des ‘bons gènes’ fournis par les pères à leurs descendants.
Le concept du bet-hedging implique un investissement qui peut se révéler avantageux parce qu’il réduit des risques futurs. L’investissement maternel différentiel a été proposé comme un mécanisme du bet-hedging parce qu’il fournirait un avantage sélectif aux organismes vivant ou se développant en environnements non prédictibles sujets à une forte stochasticité. En effet, on peut prédire que dans un environnement stable, les femelles n’ont pas intérêt à varier leur investissement maternel à l’intérieur d’une ponte, tandis qu’elles ont tout intérêt à le faire dans un environnement non variable.
Un bon modèle pour vérifier cette théorie, est le genre Rana dont les femelles peuvent pondre dans des environnements très divers sur le plan de la stabilité (mares temporaires ou permanentes). Les périodes de pontes des espèces du genre Rana sont très étalées dans le temps, permettant une bonne compréhension de l’influence de l’évolution du paysage sur le comportement des femelles.